07-08-2025 14:18 - Ce que le fleuve sait : Réconcilier nos mémoires, bâtir nos frontières

Ce que le fleuve sait : Réconcilier nos mémoires, bâtir nos frontières

Mansour LY -- Le fleuve Sénégal n’est pas une simple tracé, il est la veine de notre histoire commune. Il est une archive mouvante, dense, parfois douloureuse. Entre ses rives se sont noués des pactes, des ruptures, des résistances. Il a vu passer les cavaliers du Fouta, les traités des émirats, les convois coloniaux et les discours d’indépendance.

Mais depuis cinquante ans, il porte surtout les silences. Des silences de part et d’autre, entre les États, entre les peuples, entre les récits. Aujourd’hui, alors que les frontières se crispent et que les mémoires se replient, une autre question s’impose.

L’Afrique peut-elle encore se dire sans se déchirer. Peut-elle transformer ce qui divise en ce qui construit. Peut-elle faire de ses cicatrices des fondations. Reconnaître les mémoires est une nécessité.

La Mauritanie ne sort pas du néant colonial. Elle est l’héritière d’une structure politique antérieure, marquée par les émirats du Trarza et du Brakna. Mais cette généalogie ne peut effacer une autre réalité.

Les populations de la vallée Fulbe, Soninkés, Wolofs n’ont jamais consenti à être séparées de leurs terres, de leurs familles, de leurs marchés par une ligne tracée à Paris. Ces vérités cohabitent. Les taire ou les hiérarchiser, c’est refuser de construire un récit commun.

Le fleuve a été utilisé pour séparer. Il peut servir à relier. Mais cela suppose de relire l’histoire autrement. Sans fétichiser la résistance ni glorifier la domination. En assumant les ambiguïtés, les choix, les compromis.

Cheikh Sidiya incarne cette zone grise que nos récits refusent souvent de penser. Au moment où tout pouvait basculer dans l’hostilité, il choisit la négociation avec le colon. Ce n’était pas une abdication, c’était une stratégie. Sauver ce qui pouvait l’être. Préserver des vies, maintenir une cohésion, garder une part de pouvoir dans un monde qui s’imposait par la force.

Ce choix a permis, plus tard, à d’autres, de réinvestir les institutions coloniales, non pour les servir, mais pour s’y former, s’y affirmer et s’en extraire. Ce n’est pas la colonisation qu’il faut ici réhabiliter. C’est la capacité à faire front autrement. À désamorcer sans renoncer.

Comprendre notre passé est nécessaire. En revanche, il faut aussi en sortir. Une génération nouvelle refuse de tourner en boucle autour des blessures. Elle veut construire. Elle rêve de routes utiles, d’infrastructures communes, d’échanges fluides. Elle sait que le fleuve peut être autre chose qu’un symbole figé. Il peut redevenir un acteur. Donc, un levier de politique régionale.

Par ailleurs, des bases existent. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) est un cadre concret de coopération. Le projet gazier Grand Tortue Ahmeyim, mené ensemble par la Mauritanie et le Sénégal, montre qu’une souveraineté concertée est possible. Ces exemples ne doivent pas rester isolés. Ils doivent inspirer une politique des ressources partagées qui répare et anticipe.

Désormais, le fleuve peut devenir un corridor agricole, un axe d’échanges culturels, un lieu de co-souveraineté. À condition de cesser de le regarder comme un vestige. Il peut être une frontière habitée, utile, dynamique. Un espace où l’on gère ensemble ce que l’histoire a séparé. Il ne s’agit pas d’oublier. Il s’agit de refuser de se figer. La mémoire n’est pas un mur. Elle peut devenir une rampe de lancement.

Le temps est venu d’avoir des politiques africaines des fleuves et des frontières, ancrées dans nos réalités, dans nos voix, dans nos choix. Réconcilier nos fleuves, c’est réconcilier nos peuples. Les transformer en leviers, c’est redonner au continent la possibilité d’écrire à nouveau.

Mansour LY



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Source : Mansour LY
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