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31-07-2025

19:00

Politique migratoire UE-Afrique, coopération ou coercition ?

Deutsche Welle -- Selon certains experts, la nouvelle politique migratoire qu'envisage l'UE en Afrique pourrait-être contre-productive.

La nouvelle politique d'immigration stricte de l'UE pourrait entraîner une réduction des fonds destinés au développement si les pays africains n'empêchent pas leurs ressortissants de quitter leur territoire.

La Commission européenne a proposé en effet de subordonner l'aide au développement, accordée aux pays africains et autres pays tiers, à leur coopération en matière de contrôle des migrations. Cette approche, qui n'est pas nouvelle, a été réaffirmée dans le cadre de la politique de développement de l'UE dénommée "Europe globale".

L'octroi de l'aide pourrait désormais dépendre du degré de coopération d'un pays en matière de retour, de réadmission et de contrôle des frontières.

Une "solution politique à court terme"

Des documents internes de l'UE, cités par le Financial Times et Reuters, indiquent que les pays qui ne respectent pas les accords d'expulsion pourraient voir leur aide réduite. Cette mesure a suscité des critiques de la part d'organisations humanitaires comme Oxfam qui l'a qualifiée de "distorsion des objectifs de développement de l'UE" et de "solution politique à court terme" à des problèmes structurels plus profonds.

Ce changement de politique intervient dans un contexte de pression croissante en Europe pour freiner la migration irrégulière, via les routes méditerranéennes et sahariennes. La pression est particulièrement forte dans des pays comme l'Allemagne, l'Italie et la Grèce, où les gouvernements nationaux sont confrontés à une opposition croissante de la population à l'égard des demandeurs d'asile.

Coercitif et néocolonial, c'est ainsi que certains experts politiques et des universitaires qualifient la proposition de changement de politique de l'UE. Selon eux, conditionner l'octroi de l'aide au degré de coopération d'un pays en matière de retour, de réadmission et de contrôle des frontières, n'est pas une bonne idée.

Les experts s'accordent à dire que ce modèle qui lie l'aide au contrôle des migrations, risque de nuire aux relations à long terme avec l'Afrique et ne s'attaque pas aux causes profondes du problème.

" Empêchez vos citoyens d'émigrer ou vous perdrez l'aide... Cela réduit les nations africaines à des gardes-frontières, plutôt qu'à des partenaires égaux dans le développement" estime Maria Ayuk, chercheuse en paix et sécurité à l'université Otto von Guericke de Magdebourg, en Allemagne.

Selon l'experte "l'UE sécurise et politise la migration depuis des années". Ce que fait l'UE "c'est forcer les Africains à garder leurs populations en Afrique, parce qu'elle craint l'africanisation de l'Europe".

Pour Maria Ayuk il faut des "relations réciproques fondées sur le respect, l'équité et la justice".

L'experte n'occulte toutefois pas la responsabilité de l'Afrique. Elle estime que ceux qui sont censés parler au nom de l'Afrique ne représentent pas l'intérêt collectif, mais plutôt les intérêts individuels des élites.

Résoudre le problème à la base

Alors que les décideurs politiques européens mettent souvent l'accent sur les "facteurs d'attraction", tels que l'emploi et la sécurité, les analystes africains estiment qu'il faut accorder une plus grande attention aux conditions qui poussent les gens à migrer.

" Les gens auront envie de partir en raison des problèmes socio-économiques, des écarts de développement entre les zones rurales et urbaines, de la pauvreté extrême, des conflits et du chômage" estime Fidel Amakye Owusu, conseiller en géopolitique et sécurité basé au Ghana.

La pauvreté, les difficultés et l'instabilité sont autant de raisons qui poussent les Africains à risquer leur vie pour trouver ailleurs un refuge et des subsistances. Dans ce contexte, fermer la porte ou construire des murs ne permettra pas de résoudre le problème.

Certains experts rappellent que les politiques commerciales de l'Europe, ses exportations d'armes et ses interventions sélectives ont contribué à l'instabilité et au sous-développement économique en Afrique.

Certains reprochent également à l'Europe ce qu'ils qualifient de double standard qui consiste à ouvrir les portes aux Ukrainiens, mais à durcir les règles lorsqu'il s'agit des Africains.

Revoir la stratégie africaine

Paul Ejime, analyste spécialisé dans les médias et les affaires internationales, reconnait également que les gens partent parce que l'environnement dans lequel ils se trouvent n'est pas propice à leur épanouissement, mais, selon lui, les Africains négocient en position de faiblesse, économiquement, mais aussi politiquement, en raison de dirigeants qui sont, pour certains, impopulaires et corrompus.

Les défaillances de la gouvernance en Afrique font partie du problème. Pour Paul Ejime, le continent doit revoir sa stratégie.Pour lui "l'Afrique doit être stratégique, maximiser ses propres intérêts et négocier en position de force".

Si les travailleurs qualifiés partent à l'étranger, il faudrait peut-être selon l'analyste "mettre en place une sorte d'accord ou de contrat qui prévoit le renvoi d'argent pour développer les systèmes de santé et d'éducation".

À mesure que l'Europe se referme sur elle-même dans ses politiques migratoires, certains pays africains pourraient se tourner davantage vers d'autres partenariats mondiaux, par exemple avec les pays des Brics.

Carole Assignon

Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle



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