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Mauritanie : entre l’emprise silencieuse d’Abou Dhabi et la main tendue du Maroc, un double jeu aux lourdes conséquences pour le Sahara Occidental
La Patrie News - Nouakchott vit un moment charnière. Tandis que l’influence émiratie s’enracine dans ses ports, ses mines et ses cercles de pouvoir, un autre front s’ouvre : la coopération avec le Maroc sur un projet d’infrastructure stratégique, l’ouverture du passage routier Amgala–Bir Oum Grine.
Un axe qui, au-delà des discours officiels, menace de fragiliser davantage la cause sahraouie et de transformer la Mauritanie en maillon faible face aux ambitions conjuguées de Rabat et d’Abou Dhabi. Depuis 2021, Abou Dhabi a multiplié ses investissements « officiels » en Mauritanie, affichant une hausse de 220 % en deux ans.
Mais derrière la façade du développement se cache un vaste réseau de contrebande et d’influence. Le port de Nouadhibou est devenu un hub majeur pour l’or illégal venu du Darfour, acheminé à travers le Sahara et expédié vers Dubaï.
Selon l’ONU, entre trois et cinq tonnes d’or transitent chaque année par ce couloir, représentant plus de 250 millions de dollars. Cette filière ne transporte pas seulement de l’or : devises, armes légères et flux financiers opaques circulent en parallèle, alimentant les conflits au Sahel et blanchissant l’argent via les circuits émiratis. Abou Dhabi, comme au Yémen, en Libye ou au Soudan, achète des loyautés, infiltre les élites économiques et verrouille ses positions à coups de contrats fictifs et d’accords d’investissements jamais réalisés.
C’est dans ce contexte qu’intervient l’annonce de l’ouverture d’un nouveau passage routier reliant Es-Smara, en territoire occupé du Sahara Occidental, à Bir Oum Grine en Mauritanie, via Amgala. Officiellement, il s’agit d’améliorer les échanges commerciaux et humains. En réalité, ce projet constitue un deuxième point de pénétration, après El Guerguerate, permettant au Maroc de consolider son occupation et de contourner les résistances sahraouies.
Les travaux en cours ne sont pas isolés : ils s’inscrivent dans une coopération bilatérale renforcée, incluant des projets ferroviaires et routiers. Une ligne reliant Choum, Akjoujt et Nouakchott est déjà prévue, facilitant le flux des marchandises – et potentiellement celui des ressources pillées au Sahara Occidental – vers la capitale mauritanienne.
L’ouverture de ce passage n’est pas qu’une affaire de goudron et de ponts. Elle s’accompagne d’un alignement stratégique : Rabat fournit la caution politique, Abou Dhabi l’assise financière et logistique. Ensemble, ils avancent leurs pions, affaiblissant la position mauritanienne sur le dossier sahraoui et créant de nouvelles dépendances économiques.
Les précédents ne manquent pas : au Yémen, aux côtés de l’Arabie saoudite, les Émirats ont utilisé leurs ports et leurs bases pour contrôler les flux commerciaux et dicter les équilibres locaux. En Mauritanie, le risque est le même : que les infrastructures servent d’abord les intérêts de l’occupant marocain et de son allié émirati, au détriment de la souveraineté mauritanienne et de la cause sahraouie.
Si Nouakchott persiste dans cette voie, elle pourrait se retrouver piégée entre deux puissances aux ambitions convergentes. La façade de coopération économique dissimule un projet plus vaste : transformer la Mauritanie en zone-tampon, en couloir de transit et en base arrière, pendant que le peuple sahraoui continue de lutter pour sa liberté.
L’histoire récente – de la Libye au Soudan – montre ce qu’il en coûte de sous-estimer l’influence combinée d’Abou Dhabi et de Rabat. La Mauritanie a encore le choix : défendre sa neutralité réelle et son engagement envers le droit international… ou entrer dans l’engrenage d’une politique qui ne connaît que deux issues : la soumission ou le chaos.
D’autant que l’entité israélienne, qui tire de loin les ficelles, n’accentue sa présence et son influence presque partout en Afrique. Mais la vigilance d’Alger, et le retour en force de sa diplomatie peut freiner cette dynamique mortifère, ou carrément l’inverser dans un sens favorable aux droit des peuples, à la légalité internationale, et à celui des Sahraoui de disposer souverainement de leur destin via la tenue d’un référendum d’autodétermination.
El Ghayeb Lamine